Je travaille au "Chat Botté"
Dans le centre ville,
Je vends l'hiver et l'été,
Des mules en reptile.
C'est mon destin je suppose,
J'ai quinze ans d'maison.
Cà sent pas toujours la rose,
C'est le reblochon
Dans le cas de cette fillette
Qui tend son pied droit,
Son prénom doit être Berthe,
Pointure 43.
Il est l'heure de mon sandouiche
Mais je n'ai plus faim,
Asphyxié par une péniche,
Telle sera ma fin.
On ne veut plus les quitter
Quand on les enfile
Essayer c'est adopter
Les mules en reptile.
Je surveille au "Chat Botté"
Derrière mes lentilles,
Au rayon des nouveautés,
Une longue fille.
Elle regarde les savates
Et puis finalement
Elle me dit qu'elle convoite
Les mules en serpent.
Elle me confie son pied nu
Comme à une soeur.
Il est fin, petit, menu,
Bref sans épaisseur.
Je le respire, je le flaire,
Enfin je le hume,
Je voudrais mettre sous verre
Ce qui le parfume.
Jamais eu au "Chat Botté"
Cette démangeaison,
Cette envie de bécoter
En quinze ans d'maison.
Je repousse l'idée sotte,
L'idée saugrenue,
L'idée de proposer la botte
A cette inconnue.
Quand soudain le carillon
Annonce la nuit,
Et pareille à Cendrillon,
La fille s'enfuit
Me laissant désapointé,
La mule à la main,
Elle s'enfuit du "Chat Botté"
Passe son chemin.
J'me faufile dans la réserve,
J'entrouvre la boîte,
Tout le parfum que conserve
La pantoufle droite
Me traverse les narines,
Dilate mon coeur,
Me réchauffe la poitrine
Comme une liqueur.
Moi qui avais le bourdon,
J'ai la chair de poule,
Et même la chair de dindon
Quand j'éteins l'ampoule,
Il me semble être avec elle,
Elle à mes côtés,
Je rêve d'une vie nouvelle
Loin du "Chat Botté".
On ne veut plus les quitter
Quand on les enfile
Essayer c'est adopter
Les mules en reptile.
Thomas Fersen 2003